Des avions privés pour des petits patrons

De son bureau, au troisième étage d’un bâtiment à l’extrémité nord de l’aéroport du Bourget, il surveille le trafic des jets d’affaires. Sur le tarmac, parmi les appareils qui décollent, se trouvent les siens. Jean Valli, 64 ans, est le président fondateur de Valljet, la plus grande compagnie française. Elle gère une flotte de 23 avions et table sur un chiffre d’affaires supérieur à 38 millions d’euros en 2020, en progression par rapport à 2019 (30 millions). Malgré le Covid, Valljet a maintenu un bon niveau d’activité. Soit pour rapatrier des Français bloqués à l’étranger, soit pour transporter des chefs d’entreprise.

Des tarifs à portée des entreprises de taille intermédiaire
À l’inverse des compagnies régulières clouées au sol par la pandémie, l’aviation d’affaires semble bénéficier d’un ciel dégagé. « Elle devrait se développer, estime Jean Valli. Ses habitués, notamment les clients très aisés, l’utilisent toujours. De nouveaux clients les rejoignent. Pour deux raisons : la situation des liaisons transversales en France et en Europe mettra du temps à redevenir normale. Tandis que la peur du virus freinera les moyens de transport collectifs. »

Pour attirer ces néophytes, Valljet mise sur une tarification attractive. Ses prix se veulent à la portée des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Exemple : 5 800 euros hors taxes par personne pour un vol aller-retour Lille-Limoges, avec cinq personnes à bord. Pour 1 000 euros de plus, un arrêt dans une autre ville est possible au retour. La compagnie continue d’investir. En forte expansion, sa flotte couvre l’essentiel des besoins, avec un nombre de modèles limité pour maîtriser les frais d’entretien : des Cessna Citation (le plus petit des jets) pour les vols courts, des Hawker Beechcraft pour des trajets de 4 000 kilomètres au maximum, des Embraer Legacy (13 passagers) pour plus de 6 000 kilomètres. Et des Embraer 145 (50 places), affrétés entre autres par la Fédération française de football et certains clubs de Ligue 1.

Une moitié de ces avions ont été achetés d’occasion (3 millions d’euros en moyenne pour un Citation et 4 millions pour un Hawker). Les autres appartiennent à des propriétaires privés, dont ceux des dirigeants de Gifi, de Puressentiel ou d’Interparfums. « Nous les aidons à bien acheter et à rentabiliser leur investissement en les exploitant », indique Jean Valli. Valljet a vu le jour en 2008, quand cet ancien commercial devenu grossiste en papier pour les imprimeurs et éditeurs de presse a rencontré deux autres chefs d’entreprise, Waldemar Kita et Benoît Couturier. « On avait eu le malheur d’acheter simultanément le même avion sur les conseils du même vendeur, raconte-t-il. Il soutenait qu’en plaçant nos avions en exploitation dans une compagnie, nous pourrions voyager pour pas cher. Mais quand l’avion n’était ni en panne, ni en révision, il n’y avait pas de pilote. Et s’il était opérationnel avec un pilote, l’appareil volait pour autrui… »

Les trois acheteurs décident alors de créer leur propre compagnie, dont Jean Valli prend les manettes. Les débuts sont périlleux. « Nous avions oublié le dicton : “Quand tu es milliardaire et que tu veux redevenir simple millionnaire, crée ta compagnie aérienne”, ironise le PDG. Nous nous sommes lancés avec nos plaquettes publicitaires et de vastes bureaux, mais nous perdions plus de 1 million d’euros par an. » Décoller prendra six ans. La petite compagnie devient rentable et efface ses pertes initiales. Sans droit à l’erreur. La concurrence s’est durcie sur ce marché numérisé, sous l’influence de courtiers internationaux, qui commercialisent une partie croissante des vols (40 % de l’activité de l’entreprise). Dans ce contexte, la compagnie française joue la carte anti-blingbling. « Nous voulons démocratiser l’aviation privée, affirme Jean Valli. Un président du CAC 40 qui vole seul vers New York dans son Falcon 7X et un petit patron qui doit faire le tour de la France en deux jours pour les besoins de son ETI n’ont rien en commun. » Reste à continuer de convaincre les seconds.